Retards de paiement : les traducteurs disent stop
- AV.
- 14 févr. 2013
- 3 min de lecture
http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2013/02/14/retards-de-paiement-les-traducteurs-disent-stop
__________
Faute de rattrapage rapide en 2013, ils menacent de bloquer la machine.

Photo HD« Nous ne sommes pas la banque du ministère de la Justice», tempête Emilia Malgras, responsable d’une chambre locale d’interprètes-experts de l’Est de la France. Photo Pierre HECKLER
Mal payés, avec parfois plus d’un an de retard et peu considérés.
DOSSIER
Les traducteurs de justice passent des paroles aux actes et menacent l’État de rester muets. « Quelle profession peut aujourd’hui accepter de travailler et être rémunérée huit mois, un an, voire un an et demi plus tard ? Nous ne sommes pas la banque du ministère de la Justice ou alors qu’il paie les intérêts correspondants », tempête Emilia Malgras, responsable d’une chambre locale d’interprètes-experts de l’Est de la France. Leurs prestations à l’audience dans les affaires pénales impliquant des étrangers, auprès des juges d’instruction ou à l’écrit pour transcrire des procédures de plus en plus complexes et internationales, avaient pourtant été revalorisées en 2008. « Notre taux horaire est passé de 11 à 24 € mais à budget constant. Alors même qu’explosaient les dossiers liés à l’immigration. Le résultat : on avance de plus en plus d’argent et on est payé de plus en plus tard », remarque sa collègue Viviane Thuillier, spécialisée en italien. Le cas des Roms est symptomatique et découle de la politique pénale menée pendant un quinquennat et demi par Nicolas Sarkozy : « En 2008, j’avais 50 dossiers par an ; en 2009, 172 et en 2012, 202 », témoigne Emilia, expert en roumain auprès de la cour d’appel de Metz et de la Cour de cassation.
Reste un profond problème structurel : le budget des frais de justice en France, pourtant en hausse de 15 % en 2013 (477 M€ contre 415 M€ en 2012) est notoirement insuffisant avec « des restes à payer » qui augmentent d’année en année, selon la dernière note budgétaire du Syndicat de la magistrature (SM, gauche).
Écoutes téléphoniques, la preuve par l’ADN qui a succédé à la culture de l’aveu, les expertises techniques et psychiatriques en tous genres ont creusé la dette malgré la large diffusion d’une nouvelle doctrine du magistrat-gestionnaire (lire par ailleurs). « Pour le paiement des traductions, le schéma est clair : cinq mois après, si le mémoire [d’honoraires] est complet et si la cour a de l’argent ; si la cour manque de moyens et qu’une pièce a été oubliée, on passe à dix mois ; si le dossier est lacunaire, on dépasse le délai d’un an. Alors même qu’on ne peut pas se passer des traducteurs », souffle un magistrat lorrain, conscient que le système gère, avant tout, la pénurie.
Du manque de moyens à la baisse de la qualité de la justice rendue, il n’y a qu’un pas. « Aujourd’hui, les ordonnances de renvo i d’un prévenu au tribunal sont traduites, c’est bien le minimum », estime Clarisse Taron, ex-présidente du Syndicat de la magistrature (SM) et toujours membre de son conseil national, « sinon, c’est le justiciable qui trinque et la France qui sera de plus en plus condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme ». Au quotidien, le refrain reste le même pour les interprètes : « N’ayant pas encore reçu notre dotation, nous ne pouvons pas vous payer pour l’instant », invoque le régisseur d’une juridiction de Meurthe-et-Moselle. Bien sûr, des disparités existent : ainsi un tribunal du sud de la France règle ses traducteurs en deux mois, quand d’autres, comme en Haute-Savoie, les font attendre… deux ans !
Alain MORVAN.
Comments