Bonjour, Evguenia je suis l'interprète russe
- AV.
- 22 avr. 2008
- 3 min de lecture
Assermentée depuis quatre ans auprès de la cour d'appel de Rennes, elle traduit dans les tribunaux, gendarmeries, commissariats pour ses compatriotes...
Tribunal correctionnel de Saint-Brieuc. Deux prévenus, d'origine russe, comparaissent pour des vols de bouteilles de whisky. A leurs côtés se tient une femme. Blonde, les yeux clairs, petites lunettes vissées sur le nez, un peu timide et réservée, elle dégage beaucoup de douceur. Avec un joli accent, elle se présente auprès de la juge : « Bonjour. Evguenia Tsvetkova, interprète russe. » (1)

Enseignante, Evguenia Tsvetkova est d'une aide précieuse pour l'administration française grâce à ses traductions.
Assermentée auprès de la cour d'appel de Rennes depuis quatre ans, inscrite sur la liste des experts judiciaires comme interprète traducteur, cette Russe de 41 ans est arrivée il y a dix ans en France. Depuis, elle a épousé un Breton et est installée avec sa fille à Pléneuf-Val-André. Originaire de Kinechma, à 400 km de Moscou, « 150 000 habitants, pour nous une petite ville », précise Evguenia avec humour, elle y a embrassé la carrière d'enseignante de français. Pourquoi avoir choisi le français ? « Parce que j'aime la France, confie-t-elle en souriant. C'est une langue que j'aime beaucoup, mélodique, riche en vocabulaire. » Si Evguenia reste toujours attachée à son pays (elle y retourne tous les deux ans), « c'est avant tout pour la famille, les amis qui y sont restés et qui me manquent. La vie y est dure. Et les salaires des enseignants, il y a dix ans, restaient vraiment très bas ».
Enseignante à Lamballe et Saint-Brieuc
Arrivée en France, elle se renseigne auprès du rectorat, suit des formations, demande une validation des acquis d'expérience, obtient une licence des sciences de l'éducation et trouve un poste d'enseignante à Lamballe. « Avant de déposer ma demande d'assermentation auprès de la cour d'appel de Rennes, j'intervenais déjà pour le tribunal de Saint-Brieuc qui m'avait contactée en 2002 pour servir d'interprète. J'ai été ensuite beaucoup sollicitée par la gendarmerie, commissariat, tribunaux de Guingamp, Dinan, Saint-Brieuc et même Lorient. » Cette assermentation lui donne le droit aussi de traduire des documents. Récemment, ce sont soixante-dix pages qu'elle a dû traduire dans le cadre de l'affaire du naufrage du Sokalique, en août 2007. Enseignante aussi au lycée Renan depuis un an, elle confie être quelquefois débordée entre les Cada (Centres d'accueil des demandeurs d'asile) où elle intervient, les auditions chez les gendarmes, commissariat, juges pour enfants, d'application des peines, des libertés, les maisons d'arrêt... « On peut m'appeler à n'importe quelle heure, le jour, la nuit. »
Concernant les prévenus russes pour qui elle intervient en tant qu'interprète, elle rectifie : « Ce sont surtout des Russophones originaires du Caucase (ex-pays de l'URSS comme l'Ossétie, Daguestan, Tchétchénie...). D'ailleurs, ce n'est pas toujours évident de leur traduire des termes juridiques car la plupart du temps ils ne parlent pas bien le russe, c'est une langue qu'ils ont pratiquée, mais à leur plus jeune âge. » L'interprète russe explique qu'aujourd'hui il y a beaucoup d'Ossètes arrivés en France, qui fuient les conflits politiques, territoriaux dans leur pays. « Ils pensent qu'ici c'est paradisiaque : allocations, logement, accès à la santé, etc. Le problème est que s'ils n'obtiennent pas le statut de réfugié politique, ils ne peuvent travailler. Souvent, ils sont amenés à voler. Il y a pas mal de désillusions chez ces jeunes prévenus. Cela m'attriste. »
Véronique CONSTANCE.
(1) 22 interprètes russes sont assermentés par la cour d'appel de Rennes, dont 3 à Saint-Brieuc.
Ouest-France
Comments